Snowpiercer : La critique du film.

Ils sont trop nombreux. Cagoulés, armés de haches, masses d’armes ou de lances, de longs cabans plastifiés les protège des éclaboussures à venir. Seuls leurs yeux injectés de sang et leur dents jaunies témoignent d’une humanité perdue depuis longtemps. Ils ne laisseront passer personne, ne le veulent pas, ne le doivent pas. Peut-être même prendront-ils un peu de plaisir à la tâche sordide qui les attend. Ils sont là pour nettoyer la fange, avec pour seuls balais d’antiques ergots d’acier trempé.

Face à eux, une marée humaine bouillonnante de rage et de tristesse déborde d’une colère trop longtemps contenue. Ce sont les resquilleurs, ils vivent en queue de train. Montés sans ticket, condamnés à ne descendre qu’à la faveur de leur dernier soupir. Ils ne feront pas demi-tour. Ce n’est pas le courage qui les meut, mais une énergie spontanée, irrépressible. Avec leurs poings comme seul arsenal, ils ne trépasseront pas sans souiller la coursive de leur sang noir, usé, chargé de plomb et de métaux lourds, un sang qu’aucun agent chimique ne détergera jamais.

C’est lors de cette hallucinante séquence de confrontation que s’effectue la bascule et l’inexorable montée en puissance du Transperceneige de Bong Joon-Ho, adaptation d’une perle noire de la bande dessinée française des années 80. Le matériau d’origine était tombé dans l’oubli (du moins en ce qui concerne le grand public), et ne paraissait à première vue que très difficilement adaptable, à moins d’une heureuse épiphanie. Cette dernière aura pris la forme d’une co-production franco-américano-coréenne, attelage inhabituel, peut-être le seul capable de donner au metteur en scène la liberté et les moyens (humains, techniques, financiers) de livrer une vision convaincante. Bong Joon-Ho aura eu la bonne idée de conserver le contexte de l’œuvre, ainsi que sa radicalité, en la débarrassant de l’immaturité politique de son premier tome.

En résulte un film tout à fait implacable, dont le discours rappellera inévitablement la récente déception d’Elysium, à cette différence près que le film réussit à peu près tout ce que son prédécesseur ratait lamentablement. Point de manichéisme puéril ici, nulle simplification embarrassante. Dans le monde du train, les ténèbres ont gagné chaque couche, classe, compartiment d’une humanité à l’agonie. Les travailleurs exploités, loin de tout romantisme socialisant, sont revenus à une forme de barbarie contagieuse, la classe « moyenne » a finit par prendre goût à ses indignes mandats, tandis que les nantis se complaisent dans une spiritualité de bazar, avec pour seul but de justifier leur anthropophagie de classe. Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance.

On est régulièrement abasourdi par l’audace et la richesse du film, qui se permet tous les délires, transformant toujours l’essai, à l’image d’une Tilda Swinton totalement allumée et dont le sur-jeu assumé fait finalement sens avec l’univers qu’elle défend bec et ongles. La direction artistique, quand elle ne nous gratifie pas de ses propres trouvailles, s’inspire avec intelligence et maîtrise des travaux de Terry Gilliam ou encore de la trilogie Bioshock. Cette dernière aura probablement été une source d’inspiration majeure, tant on se prend parfois littéralement au jeu, curieux d’explorer les corridors et galeries de cette fourmilière sur le point d’imploser. On pourrait reprocher au film de régulièrement sacrifier son rythme au bénéfice de séquences hallucinogènes, mais ce serait passer sous silence leur impact, à l’image d’une leçon de chose arrosée de plomb, qui laissera le spectateur tremblant, entre hilarité et horreur.

On ne peut que remercier le metteur en scène pour la justesse de sa vision, l’efficacité absolue avec laquelle il installe la dynamique fatale d’une révolution nihiliste. Point de salut à bord du Transperceneige. Pour arriver à ses fins, il faudra abandonner les siens, torturer, tuer et in fine, détruire. Tandis qu’un Chris Evans (anti)christique progresse à travers les coursives – et autant de strates d’un occident en perdition – nous comprenons que l’univers dépeint ici n’appelle nul renversement des valeurs ou quête de justice, mais bien une mise à mort. Chaque photogramme du métrage pue l’agonie à plein nez, tant et si bien que le spectateur en vient lui même à ressentir du soulagement à l’approche du châtiment promis depuis les premières minutes du film.

Critique : Simon Riaux.

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